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Lancer de javelot aux JO 2024 : Neeraj Chopra, icône d’un sport indien qui s’éveille

L’athlète le plus suivi sur les réseaux sociaux ne s’appelle pas Armand Duplantis, qui a battu lundi 5 août pour la neuvième fois le record du monde du saut à la perche, ni Noah Lyles qui vise un doublé 100-200 m à Paris. Son nom est Neeraj Chopra, il est indien et lance le javelot. Avec 9 millions de followers sur Instagram – Noah Lyles en compte, lui, 1 million –, le champion olympique en titre du lancer du javelot se présente en favori, jeudi 8 août, en finale de sa discipline. Lors des qualifications, mardi, il a franchi le seuil de 89,34 m, à seulement soixante centimètres de son record personnel – 89,94 m.
Mais Chopra n’est pas dupe des raisons de cette popularité « virtuelle » comme il l’expliquait au Monde, le 18 juillet. « Je suis indien, c’est pour cela que j’ai beaucoup de suiveurs, analyse-t-il. Les followers ne sont pas un signe de réussite dans le sport. “Mondo” Duplantis est à un autre niveau sportif. A Tokyo [en 2021], j’ai gagné la première médaille d’or en athlétisme [dans l’histoire olympique] de l’Inde. C’est pour ça que beaucoup d’Indiens me suivent et s’intéressent au javelot. »
Géant endormi du sport olympique, l’Inde, en cent ans de participation, n’a récolté que trente-cinq médailles, dont dix en or. A Tokyo, les sportifs indiens en ont remporté sept, dont le titre de Chopra. A Paris, le contingent de la délégation indienne compte 118 membres, dont 29 athlètes.
Selon un article du Deccan Herald, à lui seul, Chopra est le deuxième olympien le plus subventionné avec 624 000 euros, derrière les joueurs de l’équipe de hockey sur gazon, huit fois champion olympique. Le fabricant de montres connectées indien Noise lui a même consacré un modèle baptisé Fit Javelin.
S’il s’impose au Stade de France – face à ses rivaux Julius Yego (Kenya), Julian Weber (Allemagne) ou Anderson Peters (Grenade) – il deviendrait le premier sportif indien à conserver son titre olympique en individuel. « Si j’y parviens, ça serait extraordinaire pour mon pays, lance-t-il. Cela montrerait aux Indiens que nous pouvons être performants. »
Plutôt discret, le champion, plein d’humilité, n’aime pas les grands discours : « Je ne veux pas être un exemple par mes mots mais par mes résultats. » Certains s’en inspirent déjà, Avinash Sable s’est qualifié aisément pour la finale du 3 000 m steeple, prévue mercredi 7 août. Malheureusement, le sauteur en longueur, Murali Sreeshankar, 7e lors des Mondiaux 2022, est forfait.
« L’athlétisme indien a un bel avenir devant lui, veut croire Neeraj Chopra. Ce qui est triste, c’est qu’il y a eu quelques blessés, parmi les sauteurs notamment. Dans le futur, nous allons être bons. » Comme la majorité des 700 millions d’hommes de son pays, le lanceur a commencé par jouer au cricket, sport numéro 1. Il a également pratiqué le traditionnel kabaddi, sorte d’épervier géant empreint de techniques de respiration, dont le nom signifie « retenir son souffle » en hindi.
Ce n’est qu’à partir de 2011 qu’il se met au javelot sérieusement. « Je n’ai rien planifié, se souvient-il. En Inde, beaucoup d’athlètes commencent ainsi car on n’a pas beaucoup d’infrastructures, de coachs ou de clubs. On va dans un stade et si on aime un sport, on s’y met. » Le champion note une « amélioration » dans la structuration du sport mais la situation « n’a encore rien à voir avec l’Europe ou les Etats-Unis ». Neeraj Chopra bénéficie désormais d’un centre consacré aux sportifs olympiques, l’Inspire Institute of Sport.
Aux débuts, Chopra se débrouille seul, grâce à un groupe de lanceurs locaux. Les plus expérimentés aident les plus jeunes. Tous regardent des vidéos YouTube de champions comme le Tchèque Jan Zelezny – actuel détenteur du record du monde 98,48 m – ou le Finlandais Tero Pitkamaki. En 2016, Gary Calvert, un entraîneur australien arrive en Inde. Cette année-là, Chopra part pour la première fois en stage et en compétition à l’étranger.
Son style n’appartient qu’à lui. Quand les lanceurs européens optent pour la puissance, lui privilégie ur la souplesse et la rapidité. « J’ai de bonnes épaules, flexibles, souples et résistantes. C’est essentiel au javelot », décrit-il.
Ironie du destin, lorsque l’on connaît les relations conflictuelles entre l’Inde et son voisin, l’un de ses rivaux, Arshad Nadeem, est pakistanais. Il a terminé derrière Chopra lors des Jeux olympiques 2021 et sera présent en finale. « Je ne me concentre pas particulièrement sur le lanceur pakistanais, insiste le champion indien. On se rencontre pendant les compétitions. Il est très respectueux, je lui parle aussi avec du respect et c’est très bien ainsi. »
Rien de semblable avec « la diplomatie du cricket », sport qui a servi plusieurs fois à tenter d’apaiser les rapports entre les deux pays. « C’est très différent par rapport au cricket où deux équipes s’affrontent. Au javelot, nous concourrons en finale avec douze gars de différents pays. »
La rivalité Chopra-Nadeem n’est pas la première en athlétisme. Dans les années 1950 et 1960, le « Flying Sikh », Milkha Singh, a affronté sur 400 m, aux Jeux du Commonwealth, le Pakistanais Abdul Khaliq, mais le niveau de cette compétition était bien inférieur à celui d’une finale des Jeux olympiques. En 2013, un film indien, Bhaag Milkha Bhaag, a remis au goût du jour cette histoire. « Je l’ai connue à ce moment-là », raconte Neeraj Chopra. Le lanceur ne devrait pas tarder à avoir son biopic parmi la très riche production cinématographique indienne.
Anthony Hernandez
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